Plus on raccourcit les trajets et plus les attentes deviennent inutiles

Petite réflexion d’été pour alléger mes propos. Mais qui sait où cela nous mènera ? Il se trouve qu’en prenant le train de banlieue tous les jours, et surtout depuis que je m’arrête à la défense, à mi-parcours, mon temps de trajet s’est raccourci mais au désavantage de mon temps d’écriture. J’ai compensé en intensifiant ces moments, mais mon temps d’écriture est plus morcelé qu’avant et il suffit d’une légère panne pour transformer en un long ennui ce qui me parait chaque jour trop court. Je ne reviens pas sur notre manière d’appréhender le temps, lire mes notes sur la « Montagne magique » de Thomas Mann, à l’heure où je viens de les publier sur internet, dans mon blog.

Bref, c’est pareil avec le TGV, trois heures c’est mieux que cinq en termes de vitesse, mais c’est moins bien quand on veut remplir cette attente. Avant on pouvait mieux de poser, dormir un peu, réfléchir, écrire, lire, dormir à nouveau, se relire, écrire. Et encore trois heures c’est mieux que rien pour un homme pressé, habitué à des temps d’écriture de vingt minutes. Entendons-nous bien, je n’ai rien contre le progrès et je préfère sans l’ombre d’une hésitation faire un trajet de trois heures plutôt qu’un trajet de cinq surtout quand je suis avec les enfants et leur patience limitée. Il existe des circonstances où cette accélération est souhaitable, mais est-ce la raison pour se l’imposer comme priorité absolue ?

J’ai aussi constaté cela avec mes ordinateurs quand j’étais jeune. Certaines tâches prenaient du temps et l’on pouvait en profiter pour faire autre chose voire réfléchir, c’était adapté aux processus humains. Maintenant, il faut accélérer notre réflexion, être plus performant. Du coup, c’est l’ordinateur qui nous attend. On a gagné en efficacité, c’est indéniable. Mais humainement, cette accélération artificielle du temps nous fait-elle vivre une vie plus riche ?

Mon métier, mon expertise, se situe dans les processus informatiques quasi temps réels. J’essaie d’optimiser mes logiciels dans ce sens-là tout en évitant des surcoûts excessifs en ressources machine. Imaginer que vous vous répétiez mentalement, sans interruption, la consigne d’insérer votre carte bancaire dans un lecteur pour aller plus vite dès que la machine est prête. Vous gagneriez en efficacité immédiate ce que vous perdriez en efficacité globale. Vous utilisez vos ressources pour une tache immédiate au lieu d’en laisser pour d’autres processus mentaux, en tâche de fond. Par exemple le sommeil, quelle perte de temps !? On pourrait doubler notre efficacité quotidienne facilement, mais on comprend tout aussi facilement ce que l’on perdrait en fraîcheur, en remise en cause des actes et des pensées d’hier, car il ne s’agit pas seulement d’un reset. Ainsi, en voulant toujours courir, on arrive à perdre beaucoup plus de temps que l’on le croit. En termes philosophiques, on perd en finalité, car on se concentre sur les moyens et on ne se pose plus la question du sens de tout cela. On agit comme des robots. On perd tout ce qui fait la force de notre humanité. On court sans réfléchir.

23 juillet 2010

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