Socrate Jésus Bouddha, profession : révolutionnaires

Page 247, Frédéric Lenoir : « Profonde similarité entre les enseignements de Jésus et ceux de Socrate et du Bouddha : la gravité du péché n’est pas liée à la faute en soi, mais à l’intention qui y préside, et à son caractère plus ou moins volontaire ».

Frédéric Lenoir avait précisé quelques pages plus tôt que Jésus prônait plus la rédemption, même à la dernière minute, que de suivre aveuglement des traditions. En fait, non pas qu’il trouvât qu’avoir une vie exemplaire n’est pas une bonne chose, le plus important est l’intention qui se cache derrière, la peur ou la foi. Être vrai. Et il n’est pas question de se cacher derrière l’ignorance, car les trois maîtres ont bien spécifié que la connaissance est en nous, s’en détourner est, en quelque sorte, criminel. De nos jours, c’est même impossible. Nous sommes surinformés, mais la plupart du temps mal informés, comme si la quantité nuisait à la qualité, demandant un effort de sélection, présupposant une bonne information initiale.

« si Jésus ne va pas à l’encontre de la Loi, il entend lui conférer une profondeur et une résonance personnelles et intérieures. Il n’est pas venu ajouter des lois nouvelles ou définir de nouveaux péchés, mais montrer que tout véritable péché se définit à l’aune de l’amour, et que ce n’est pas par peur de l’enfer qu’il ne faut pas pêcher, mais par peur de faire son propre malheur et le malheur d’autrui en s’éloignant de Dieu », c’est dans cette perspective que je vis ma foi. Non pas que j’en profite pour m’éviter les contraintes, mais pour être libre, disponible pour l’écriture, mes recherches philosophiques. Il est des vocations qui ne peuvent attendre, le temps est l’ennemi de l’homme affairé. Et ce déchirement, qui n’en est pas un en vérité, c’est ma personnalité que j’assume pleinement et désormais en pleine conscience. Du coup, au lieu que mes deux facettes luttent ensemble, perdant leurs énergies mutuelles dans une lutte fratricide, comme on dit « un homme averti en vaut deux », je suis heureux de ces diversités qui se complètent en moi.

À ce propos, il me vient à l’esprit une nouvelle sorte d’arithmétique. Si on ajoute une qualité (+1) et un défaut (-1) on obtient la plupart du temps pas grand-chose, tantôt +1 tantôt -1. Par contre, quelqu’un qui sait chérir ses qualités et embrasser ses défauts sera toujours positif, et pas simplement +1. On peut transformer. Le processus passe d’abord par la prise de conscience, « mettre les mots sur les maux ». Ensuite, une phase de compréhension que l’un n’est pas meilleur que l’autre, que les deux sont ce que l’on est. C’est la connaissance de soi. Que l’on utilise les méthodes de Socrate ou du Bouddha, le plus important n’est pas le moyen mais l’acceptation. Le bonheur ininterrompu comme l’immortalité n’est pas une fin en soi.  Pour apprécier le printemps, rien ne vaut un bel hiver.

Ces belles paroles introduisent l’avant-dernière partie du beau livre de Frédéric Lenoir : « Sois juste ». Ce que je comprends c’est que les trois maîtres y attachaient une grande importance. Cependant, le message différait quelque peu : pour Bouddha, il s’agissait d’être juste, pleinement conscient avec une vision profonde, vis-à-vis de soi-même ; pour Jésus, il s’agissait d’être juste, d’amour et d’équité, vis-à-vis de son prochain, d’autrui ; pour Socrate, il s’agissait d’être juste, de justice et de qualité de vie du point de vue sociétal et intellectuel, vis-à-vis de la Loi. Dans les trois cas, la force est puisée à l’intérieur. D’ailleurs, quelles autres ressources avons-nous à notre disposition en dehors de nous-mêmes, qui nous soient propres, qui ne soient pas artificielles, inaliénables ?

Et page 254, Frédéric Lenoir embraye sur une notion corollaire à la justice, l’égalité. J’ouvre une parenthèse à ce propos. Si la vérité sur les hommes est que l’égalité est impossible alors la justice est illusoire. À moins que les inégalités ne soient que des illusions. Auquel, il nous appartient à tous de faire l’effort de dépasser sa condition de naissance, n’est-ce pas la qualité distinctive de l’homme par rapport au règne animal ? Dans ce cas, nous ne sommes plus inégaux, mais à des degrés d’évolution choisis par nous selon l’effort qui fallait fournir au vu de nos aptitudes initiales. La justice est alors possible. Sinon, cela signifie que justice, égalité et vérité sont des notions du cogito humain qui non rien à voir avec le vivant, pas plus que le cosmos des Grecs est une réalité depuis que nous connaissons mieux l’univers qui nous entoure. Ce n’est pas un constat d’échec. Notre savoir relatif représente nos avancées. Comme notre mémoire et notre conscience nous servent malgré des imperfections à avancer. Le fait est que l’homme n’est pas une machine, qu’il est faillible. L’homme n’est pas un cheval, il court moins vite ; L’homme n’est pas un dauphin, il nage moins vite ; L’homme n’est pas un ordinateur, il assimile et calcule moins vite ; L’homme est philosophe, il ne sera jamais sage. C’est pourquoi on aime créer des mythes, des génies. Socrate, Bouddha et Jésus, incontestablement des mythes, incontestablement des humains, et pour les autres du style Kant, incontestablement compliqué ou pour Nietzsche, incontestablement malade, à défaut de mythes, on étudie leurs propos à la recherche du sens caché. J’ironise un peu, je sais. Par contre, mon propos est clair, nous ne sommes que des humains, c’est déjà beaucoup, mais c’est tout. Allons de l’avant. Si Dieu est mort, ses fils lui survivront.

17 août 2010

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